Bilan de la pose des 10 premières balises GPS/Argos
sur des bécassines des marais Gallinago en France
Dans le cadre d’un partenariat entre l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) et le Club International des Chasseurs de Bécassines (CICB), 10 balises GPS/Argos de 3,5 g ont été déployées en février/mars 2017 sur des bécassines des marais Gallinago gallinago. À notre connaissance, c’est la première fois qu’un tel système est utilisé sur cette espèce. Ce rapport a pour but de présenter le bilan technique et scientifique de cette première année de travail et d’en tirer les enseignements qui nous permettront de poursuivre sereinement ce projet.
Problématique :
L’exploitation durable des espèces migratrices nécessite d’engager des études et recherches afin de déterminer les paramètres clés qui assurent le renouvellement naturel des populations soumises aux prélèvements cynégétiques. C’est dans ce cadre que l’AEWA (African-European Waterbird Agreement) a récemment publié les principes généraux d’exploitation durable des oiseaux d’eau migrateurs . L’AEWA souligne entre-autres la nécessité de connaître les zones géographiques utilisées par les populations chassées, et ceci tout au long de leur cycle annuel (reproduction, halte migratoire, hivernage).
Pour les espèces principalement prélevées en automne/hiver en Europe de l’Ouest, comme les bécassines, il est primordial de connaître l’origine géographique des oiseaux, c’est-à-dire d’identifier leurs zones de reproduction. Cette information permettra par la suite d’évaluer l’impact des facteurs environnementaux (climat, habitat) et éventuellement anthropiques sur le succès reproducteur annuel. Elle permettra également d’engager des suivis sur les effectifs reproducteurs dans les zones concernées et de surveiller l’évolution de ces effectifs au cours du temps.
Les informations relatives à la migration (phénologie, trajets, localisation et durée des haltes) sont également très importantes pour évaluer les pressions environnementales et anthropiques que subissent les oiseaux durant ces phases du cycle annuel. Pour de nombreuses espèces, les prélèvements cynégétiques réalisés durant la migration ne sont pas négligeables et méritent d’être correctement évalués et associés aux populations concernées.
Pour recueillir des informations sur l’origine géographique des populations, le baguage peut être un outil intéressant pour peu que 1) des bagues soient récupérées sur les sites de reproduction (reprises par des chasseurs ou contrôles par des bagueurs) et 2) que le nombre de bagues récupérées soit significatif et non biaisé par la répartition des chasseurs ou des bagueurs dans l’espace. Dans le cas de la bécassine des marais, les chances de prélèvement à l’étranger d’un oiseau bagué sont extrêmement faibles car l’espèce n’est pas chassable dans une partie importante de son aire de reproduction en Europe. Par ailleurs, bien que chassable en Russie, elle ne fait pas partie des espèces prisées et les prélèvements sont vraisemblablement peu importants eu égard aux effectifs présents. Les chances de recapturer vivant un oiseau déjà bagué sont également très faibles à l’étranger en raison de la pression de baguage réduite dans les autres pays d’Europe. En effet, à l’exception de la France et de la Pologne, la bécassine des marais ne fait pas l’objet de programmes de marquage intensif. La nécessité de recapturer l’oiseau marqué, vivant ou mort, reste donc un frein à l’étude de l’origine géographique des bécassines des marais par le baguage.
Statut cynégétique de la bécassine des marais en Europe.
Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de suivre précisément le déplacement des oiseaux sur une période définie. La plupart de ces balises enregistrent des localisations dans une carte mémoire embarquée et il faut donc recapturer les oiseaux équipés pour télécharger les données (GLS, GPS). Ce système n’est évidemment pas idéal pour les espèces difficiles à recapturer comme la Bécassine des marais. Il existe d’autres systèmes qui transmettent les données à distance. Parmi eux, le système Argos (système satellitaire) est le plus utilisé mais le système GSM (réseau téléphonique/internet) peut également s’avérer efficace dans les zones bien couvertes par des antennes relais GSM. Le système satellitaire Argos a l’avantage de couvrir la planète entière sans contrainte quant à la position des infrastructures humaines. Ce n’est qu’avec le développement de ces technologies et leur miniaturisation que les questions relatives à l’origine géographique et au déroulement de la migration des bécassines des marais peuvent être réellement abordées.
Objectifs du projet
Le projet proposé s’inscrit dans les principes d’exploitation durable définis par l’AEWA et vise à accroître nos connaissances sur l’origine géographique et les modalités de migration des bécassines des marais qui hivernent en France via le déploiement d’un matériel de géolocalisation transmettant les données à longue distance.
Un monitoring des effectifs nicheurs de bécassines des marais en Russie centrale est en cours depuis 2012 sur environ 130 sites d’étude (conventions de recherches ONCFS / Russian Society for Conservation and Studies of Birds). Les résultats obtenus dans le cadre de ce projet permettront également d’optimiser nos efforts de suivi dans cette région.
Description du matériel utilisé
Le matériel utilisé devait répondre à un cahier des charges strict pour être utilisable sur la Bécassine des marais. Les futurs émetteurs devaient notamment peser moins de 4,5g (5g avec le système d’attache), afin de ne pas dépasser la norme de 5% de la masse des oiseaux (une Bécassine des marais pèse environ 100g). En 2016, il n’existait qu’un type d’émetteur sur le marché satisfaisant à cette norme tout en proposant un système d’envoi des données à longue distance. Il s’agissait des balises PinPoint Argos munies d’une batterie de 75 mAh, proposées par l’entreprise anglaise Biotrack. Selon les versions (revêtement plus ou moins épais), la balise finalisée pesait entre 3,5 et 4g. Ces balises GPS/Argos sont programmées pour prendre des points GPS, les stocker sur une carte mémoire et les transférer par le système Argos toutes les 3 positions GPS enregistrées. Une plate-forme internet permet de récupérer les données à distance. Le nombre maximum de positions GPS susceptibles d’être reçues est de l’ordre de 50–70 points GPS par balise.
Le calendrier de la prise des points GPS est entièrement programmable au bon vouloir de l’utilisateur. Il n’est par contre pas modifiable à distance. Pour cette première année de test, les balises ont été programmées pour prendre une position GPS tous les 2,5 jours et envoyer les informations toutes les 3 positions enregistrées. Ce choix correspond au meilleur compromis entre la fréquence d’acquisition des données et la durée de vie du matériel. Il permet également d’évaluer la qualité de la transmission des données en journée, où l’oiseau est censé être au sol, et la nuit où il peut potentiellement être en train de migrer. Avec cette configuration, nous pouvions espérer des transmissions pendant 6–8 mois, soit jusqu’en octobre dans le meilleur des cas.
Pose des 10 premières balises en février/mars 2017
En février et mars 2017, grâce à l’appui de bagueurs du Réseau Bécassines, nous avons équipé 10 bécassines des marais de balises : 6 sur la réserve de La Grand'Mare (Saint-Opportune-la-Mare ; Eure) et 4 sur le site des « Nouvelles Possessions » (Braud-et-Saint-Louis ; Gironde). Cette première étape du projet constituait essentiellement une phase de test : efficience du système d’attache sur l’oiseau, fiabilité du matériel, rythme et qualité des émissions, durée de la période d’émission. Toutes les balises étaient similaires, mais les cinq premières balises (la première utilisée à la Grand’Mare et les 4 utilisées aux Nouvelles Possessions) n’avaient pas l’antenne Argos incurvée vers le haut, en dépit des instructions transmises au constructeur. Notre crainte était que l’antenne Argos touche le sol ou l’eau au moment de la transmission des données, ce qui empêcherait la réception du signal par les satellites. Cette crainte semblait justifiée au vu du faible nombre de données transmises par les cinq premières balises posées (cf. tableau ci-dessous). Heureusement, les cinq balises reçues plus tardivement (avec l’antenne Argos correctement orientée) ont donné plus de satisfaction.
Tableau récapitulatif de la pose et des transmissions des 10 balises GPS/Argos posées en 2017
Nous avons finalement reçu des informations sur la migration de printemps de six bécassines (voir carte ci-dessous) et identifié les sites de reproduction pour 4 d’entre elles. Une des bécassines équipées s’est installée début avril en Russie européenne. Mais les autres ont tardé à partir en migration et ont attendu jusque fin avril voire début mai pour quitter leurs sites d’hivernage. Ces départs tardifs sont probablement à mettre en rapport avec une météo peu favorable pour les départs en migration cette année. Ces bécassines sont allées se reproduire loin, voire très loin (3 000 – 4 000 km). L’une d’elles a même dépassé l’Oural pour s’installer en Sibérie occidentale. Deux autres se sont arrêtées très au nord en Russie européenne, dans de grandes zones de toundra. Ces longues migratrices sont arrivées tardivement sur leur site de nidification, entre fin mai et mi-juin.
Carte des trajets de migration de printemps de six bécassines équipées de balises GPS/Argos.
Les destinations finales de deux bécassines (dernières localisations en Allemagne et Slovaquie) ne sont pas connues.
Plusieurs balises ont bien fonctionné durant la migration de printemps mais la plupart d’entre elles n’ont enregistré que des trajets incomplets. La transmission des données semble difficile durant cette période, notamment en journée, lorsque l’oiseau est supposé stationner sur des sites de halte. L’alternance entre des localisations de jour et de nuit a donc un intérêt pour optimiser la réception des données par les satellites durant cette période.
Les 4 balises des oiseaux qui ont permis d’identifier des sites de reproduction ont continué à transmettre des données durant l’été, toujours sur ces mêmes sites. Durant cette période, contrairement à la phase de migration, les données étaient surtout transmises en journée. L’alternance entre des localisations de jour et de nuit a donc nettement moins d’intérêt durant la période de reproduction.
Une balise s’est arrêtée début juillet, une autre début août, une troisième mi-octobre et la dernière fin novembre. Les dates de ces dernières localisations sont cohérentes avec la programmation d’une localisation tous les 2,5 jours, qui prévoyait un épuisement de la batterie entre aout et octobre. Seule la dernière balise à s’être arrêtée a transmis des informations significatives sur la migration d’automne (voir carte ci-dessous). Cette bécassine a quitté son site de reproduction en Sibérie occidentale fin septembre. Une autre, ayant nidifié dans la péninsule de kola (oblast de Mourmansk, Russie), a entamé sa migration entre le 16 et le 19 octobre mais la balise n’a plus donné aucune localisation par la suite.
Carte partielle de la migration d’automne pour deux bécassines équipées de balises GPS/Argos
Conclusion et premiers enseignements
Cette première expérience avec la pose de balises GPS/Argos sur les bécassines des marais est plutôt positive. La démonstration est faite qu’il est possible d’étudier la migration et l’origine géographique des bécassines des marais en utilisant des balises ne nécessitant pas la recapture des individus. Le système d’attache ultraléger s’est avéré résistant sur la période d’étude.
Notre principale déception concerne le fonctionnement quasi-nul de quatre balises sur les cinq premières posées. Deux n’ont donné aucune localisation et 2 autres n’ont donné que 2 ou 3 localisations sur le site d’hivernage avant de s’arrêter. Ces balises étaient munies d’une antenne Argos non-incurvée vers le haut et nous sommes persuadés que c’est cette configuration qui a empêché la transmission des données. Le constructeur a pris ses responsabilités quant à ce défaut de fabrication et s’est engagé à remplacer les balises défectueuses.
L’objectif principal était d’identifier les sites de reproduction des oiseaux équipés. Quatre balises (sur 5 ayant des antennes Argos bien orientées) ont permis d’atteindre cet objectif. En plus de l’orientation des antennes Argos, il sera possible d’améliorer d’autres aspects, notamment en jouant sur le calendrier de la prise des positions GPS. L’envoi de données durant la nuit n’a que rarement abouti en période de reproduction. Il sera possible de faire une économie substantielle d’énergie en ne programmant que des envois en journée de juin à septembre.
Le deuxième objectif était d’étudier les modalités de migration. Des informations générales ont pu être dégagées : dates de départ en migration, dates d’arrivée sur les sites de reproduction, durée et distance parcourue, etc. Mais le nombre de données transmises durant la migration de printemps n’est pas complétement satisfaisant pour étudier finement le déroulement de la migration. Il faudra là aussi optimiser la programmation du calendrier de la prise des positions GPS. L’alternance jour/nuit dans l’envoi des données semble efficace pendant la migration mais il sera possible de réduire la période durant laquelle la fréquence d’acquisition de localisations est maximale (migration active). Il conviendra d’adapter ce calendrier à l’activité migratoire des bécassines, c’est-à-dire entre mars et juin avec une activité maximale entre mi-avril et mi-mai.
Par contre, le faible nombre de données reçues durant la migration d’automne suggère qu’il est illusoire d’étudier les deux migrations avec le matériel actuel. Il est donc préférable de se focaliser dans un premier temps sur le déroulement de la migration de printemps et la localisation des sites de reproduction. Un test sur quelques individus pourrait éventuellement être réalisé pour évaluer la faisabilité d’une étude de la migration d’automne, c’est à dire en programmant préférentiellement des localisations en automne plutôt qu’au printemps.
La prochaine étape est d’équiper un plus grand nombre de bécassines car, pour le moment, on ne peut pas tirer de conclusions générales sur l’origine géographique et les modalités de migration des bécassines des marais. L’ONCFS et le CICB envisagent donc d’équiper une vingtaine d’oiseaux de balises GPS/Argos en février/mars 2018.
* AEWA Conservation Guidelines N°5 – Guidelines on Sustainable Harvest of Migratory Waterbirds. 2016. Technical series n° 62.
² Entre 1 500 et 2 000 bécassines des marais sont baguées chaque année en France par le Réseau ONCFS/FNC/FDC/CICB.
Kévin Le Rest, Damien Coreau & Yves Ferrand,
Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage
Patrice Février,
Club International des Chasseurs de Bécassines
Le 22/01/2018
Avec le soutien de la
et de nombreuses
En raison de la situation actuelle, la BOURSE DES TERRITOIRES est suspendue jusqu'à nouvel ordre.