Lâchers de balises printemps 2018
Kévin Le Rest
D’abord, « Terre d’oiseaux » en Gironde
La cabane de l’éclusier
Lundi 12 février 2018, vers 16 heures, c’est reparti ! Après avoir traversé St Ciers-sur-Gironde en me fiant aux panneaux qui indiquent « Terre d’oiseaux » et suivi le canal rectiligne qui mène au port des Callonges, je me gare pour profiter du paysage. La Gironde coule avec puissance, poussée par les pluies qui nous ont submergés sans discontinuer depuis quelques semaines. Une voiture s’arrête à côté de la mienne, Gérald Facq en sort, tout sourire. Il vient admirer la première « opération balise » de la deuxième saison. Demain, en fin de matinée, nous irons ensemble à Rochefort. Mais, pour le moment, Gérald s’enquiert de la Maison de l’éclusier, c’est là que nous avons rendez-vous et que nous devons coucher. Comme il m’a dit qu’il avait déjà fait un petit tour, je lui demande s’il a vu un héron factice aux ailes déployées et pattes tendues s’élançant vers le ciel depuis le toit d’un observatoire. Le tout dans le plus pur style du monument de la guerre 1914-1918 où l’ange entoure de son aile le poilu mourant pour la patrie !
« Évidemment, je l’ai vu ton héron, on ne peut pas le louper.
- Eh bien, ce sont les trois baraques en face ! »
Je passe sur son sourire mi-figue, mi-raisin, et nous remontons en voiture pour parcourir les trois cents mètres qui nous mènent aux maisons basses de l’éclusier. Le temps de jeter un coup d’œil et d’ouvrir la portière à mes deux labradors dont la plus jeune va immédiatement se jeter dans le canal, Jean-Pierre Baudet est là. Lui, le maître des lieux, gère cette réserve communale pour le compte de l’ONCFS. Il est accompagné de Marie, une sympathique jeune femme, passionnée de bécassines, que j’ai rencontrée au stage des bagueurs en novembre dernier. Stage de formation qu’elle a réussi haut la main.
En attendant les derniers arrivants, Jean-Pierre me révèle sa stratégie. Nous allons poser des filets sur la réserve, dans un lieu qui sert de remise nocturne aux bécassines. Donc, en venant se coucher, certaines peuvent se faire prendre. Ensuite, à la nuit tombée, on récupérera les oiseaux pris, on enlèvera les filets et on filera à la réserve de Montalipan, à une quinzaine de km. Là, on reposera les filets, mais on les laissera fermés pour qu’il n’y ait pas de risque qu’un oiseau s’y prenne ; avec le froid, ce serait son arrêt de mort. À six heures, Jean-Pierre ira ouvrir les filets et, dès le lever du jour, nous viendrons aux résultats car Montalipan est une remise diurne, donc des oiseaux vont se faire prendre en voulant occuper le territoire.
Il faut avouer que ce n’est pas une stratégie de coin de bar ! Sur le champ de bataille, Napoléon aurait nommé général un gaillard comme notre Jean-Pierre, avec la légion d’honneur en plus !
Bientôt, arrivent Kevin Le Rest et Damien Coreau. Nous sommes au complet. Après les effusions et deux trois cafés, on file à l’endroit de la réserve (remise nocturne) que Jean-Pierre a choisi. Une fois quelques centaines de mètres de filets minutieusement posés, on réintègre les voitures arrêtées derrière une tonne. Et nous voilà partis, après un dernier regard pour ce magnifique marécage plat, parsemé de minuscules flaques, qui ne peut pas laisser insensible un amoureux des zones humides.
Pose avant la nuit
Dès la nuit tombée, nous sommes de retour, selon les instructions du plan. Les lampes frontales scintillent dans toutes les directions. Ici on suit un filet vide, là on sort avec difficulté une bécassine bien prise dans les mailles, plus loin, on glisse une prise dans un pochon. Au bout d’une demi-heure, à nuit noire, tous les oiseaux sont ramassés : deux sourdes et une bécassine des marais. Elles sont mises au calme dans les boîtes ad hoc où elles attendront sagement que nous soyons rentrés. Avant, il faut détacher et replier les filets, les mettre dans les sacs, récupérer les haubans, arracher les piquets télescopiques en aluminium, les faire glisser bien qu’ils se coincent avec entêtement, récupérer les crochets d’ancrage...
Une fois tout rangé, nous prenons la route de Montalipan. Nous sommes six, trois dans chaque voiture, tassés avec le matériel. Je suis avec mon copain Jean-Pierre et Marie. Gérald, lui, a rejoint « le Réseau Bécassines » : Kevin et Damien. Nous, nous suivons jusqu’au but de Jean-Pierre. On n’y voit goutte, mais, lendemain, nous découvrirons un territoire de rêve. Pour le moment, on décharge tout, à la lumière des loupiotes frontales. Il ne reste à refaire que ce qui a été défait il y a une heure. Et c’est toujours plus compliqué dans ce sens-là !
Quand nous rentrons, il faut s’occuper des oiseaux. Les deux sourdes - rebecs, comme on les appelle ici - sont prestement baguées, mesurées, pesées et... relâchées. Ensuite, c’est l’heure de vérité pour la « grosse » bécassine, elle passe son examen d’entrée. Cela consiste, une fois qu’elle est bien tenue dans la main de l’examinateur, à la précipiter la tête en bas dans un verre (vide évidement). La pauvre bête, tenue par les bords du récipient, ne peut plus remuer ni aile ni patte, alors que des figures (qu’elle doit trouver abominables) se penchent sur elle et sur la balance électronique glissée sous le verre. Et le verdict dont dépend son destin tombe d’une bouche ravie ou profondément dégoûtée : « Super, 106 g, elle est bonne » à moins que ce ne soit : « Elle ne fait même pas 90 g. Allez, hop, tu la bagues, tu prends les mesures et tu la remets dans la boîte. On ira la relâcher tout à l’heure. » Ainsi, notre unique prisonnière qui atteint juste 86 g retournera bien vite à sa vie quotidienne, ne gardant qu’un petit morceau de métal brillant au bas de la cuisse, comme souvenir de son aventure.
Quelques balises
Je dois quand même ajouter qu’entre ces quelques heures bien remplies, nous trouvâmes le temps de nous restaurer. Ce qui nous avait menés assez tard et nous eûmes droit au coucher dans la cabane de l’éclusier. Cette maison basse est composée d’une grande pièce qui sert à la fois de cabinet de travail et de salle à manger ; ensuite viennent en enfilade : un WC, une douche, et trois box accueillant chacun deux personnes sur des bas flancs. Dans ma jeunesse africaine, j’y aurais dormi comme une souche, mais des décennies sont passées depuis ce temps où je ronflais en plein air sur des rondins liés, avec une moustiquaire pour protection ! Là, je me couchai tout habillé pour quelques heures fiévreuses, pas très reposantes. Gérald qui avait apporté un sac de couchage s’en sortit mieux ! Ces courtes heures furent vite passées.
À 6 heures, tout le monde est debout. Tandis que Jean-Pierre est allé ouvrir les filets, nous buvons un café brûlant. Je sors mes chiennes ravies d’évoluer dans le froid et la jeune se jette dans le canal... de l’éclusier. Les voitures sont couvertes de givre. La nuit se décolore doucement. Il est temps d’aller à Montalipan !
Lever du jour sur Montalipan
Quand les kilomètres avalés, nous entrons dans le marais, le jour n’est pas encore là. Nous avançons tous les trois précautionneusement, espérant ne pas enfoncer dans un trou, mais avec l’espoir de lever quelques oiselles qui iront se jeter dans le filet. À un moment, Jean-Pierre nous arrête, il m’assigne une place et fait de même pour Marie. Il faut attendre. Le marais s’éveille doucement. Les premiers cris d’oiseaux appellent le jour. Je les écoute avec ravissement. Soudain, j’entends un chant qui ressemble à un bêlement ou un chevrotement. Marrant ! Quelques secondes plus tard, ça recommence. Quel oiseau peut avoir ce chant qui ressemble si étrangement à la parade nuptiale de la bécassine ? Il faudra que je demande à Jean-Pierre. Peu à peu, je suis convaincu que c’est bien une bécassine des marais qui produit ce « bruit ». ça me paraît impossible : un 13 février ! Je ne peux pas y croire. Pourtant, pendant le quart d’heure où je resterai là immobile, tentant de percer la pénombre fuyante de ce crépuscule du matin, j’entendrai régulièrement le chevrotement d’un mâle de bécassine et parfois le cri aigu d’appel au sol.
Chassant la nuit minute après minute, un jour timide dévoile un marais de rêve dont la platitude s’étend à perte de vue. Quel magnifique territoire ! Je ne peux cesser de l’admirer.
Jean-Pierre qui marche sans bruit surgit et me dit : « Va rejoindre Marie, je crois qu’il y en a plusieurs de prises ». Je fonce, oubliant complètement les bêlements, et la rejoins au coin d’un filet où elle s’affaire à tenter de libérer une « marais » entortillée. Elle fait bien des efforts de la plus extrême délicatesse (car la première règle est la préservation de l’oiseau), Jean-Pierre arrive et l’expérience parle : il observe l’oiseau de près, déplace un ou deux fils puis, avec les deux mains, il libère la bécassine en moins de trente secondes. Libération qui se limite à la mener du filet au pochon.
Soudain, je remarque, accroché au premier piquet, un sac d’où sortent des cris pointus et des chevrotements. Un magnétophone ! Heureusement que je n’ai rien dit, j’aurais trouvé là une merveilleusement occasion de me taire !
Plus tard, dans la voiture qui nous ramène à la maison de l’éclusier, je demande ingénument à Jean-Pierre : « Tu trouves que les cris nuptiaux de ton magnétophone les attirent bien ? – Franchement, je ne sais pas, mais qui peut le plus peut le moins, alors je mets le magnéto. » Le pire, c’est que je le savais, mais sur le moment, dans la froidure matinale, je l’avais complètement oublié !
Finalement il y avait encore deux ou trois rebecs de pris et je crois quatre ou cinq bécassines des marais. Le jugement de la balance fut sans appel, seules trois « faisaient la maille » fixée impérativement à 100 g. Kevin fut intraitable, refusant catégoriquement, les 95 et même une 98. Ce furent donc trois « grosses » oiselles qui emportèrent nos premiers espoirs de cette nouvelle saison.
Nous devions continuer et rejoindre Vincent Rotureau pour plusieurs séries de baguages en Vendée. Malheureusement, le temps n’était pas avec nous. Pluie et vent rendaient les captures aléatoires, voire impossibles. Après avoir bien photographié nos chers oiseaux, nous reprîmes nos chemins respectifs. Pour Gérald et moi, c’était celui de Rochefort, où nous avions rendez-vous avec le directeur du Forum des marais atlantiques, pour préparer le Congrès 2018 du CICB.
PF
En raison de la situation actuelle, la BOURSE DES TERRITOIRES est suspendue jusqu'à nouvel ordre.