La 1ère bécassine des marais au monde est équipée d’une balise Argos/GPS
Elle est partie...
Nous sommes le 6 février 2017.
La chasse des bécassines est désormais fermée en France. Comme convenu, nous nous retrouvons à l’heure du déjeuner dans la maison de la Grand-Mare, en plein marais Vernier (Eure). Un territoire que nous connaissons bien, notamment en raison du stage annuel des bagueurs de bécassines qui s’y tient chaque mois de novembre. Nous y avons vu des jours de prises exceptionnels et puis aussi des bredouilles retentissantes ! En regardant le temps, le vent et le crachin, nous penchons plutôt pour la seconde solution.
Dans l’après-midi, tout le monde est là. Ceux qui viennent de loin : Yves Ferrand, son adjoint et futur remplaçant, Kevin Le Rest, et Damien Coreau. Puis des agents techniques de l’Office du secteur de l’Eure et enfin les locaux, Luc Tison qui représente l’ONCFS sur place et Natacha Piffeteau, technicienne de la fédération de l’Eure attachée à la Grand-Mare. Les rôles sont vite distribués. Luc part avec d’autres agents pour aller poser des filets verticaux dans plusieurs marais de la région qui l’accueillent régulièrement dont celui de notre adhérent et ami Gérald Facq. Natacha, Yves et Damien plantent des filets sur place tout au long du bord de l’eau, en limite de la végétation. Kevin teste encore une fois les balises : opération complexe, délicate et indispensable. Il va jusqu’à en attacher une sur une branche morte pour la tester loin des grillages, maisons, animaux domestiques qui peuvent causer des interférences. Moi, je joue le témoin candide, qui va de l’un à l’autre avec un appareil photo à la main.
Vers dix-huit heures, avec un verre ou une tasse de café, nous regardons par la fenêtre tomber une pluie fine, en attendant la passée. A nuit noire, tout le monde s’égaie dans le marais et va visiter ses filets. Tous ceux qui reviennent tirent un nez qui n’incite pas à les interroger. Yves revient le pochon gonflé à la main. Mais il est loin de crier victoire. « Elle m’a l’air bien freluquette » dit-il tristement. Le protocole est de choisir des oiseaux adultes qui ont donc déjà fait au moins une migration complète aller – retour, et de les peser pour s’assurer qu’ils dépassent les 100 g, ce qui correspond au quelque 3 g des balises.
Yves sort l’oiselle du pochon et la fourre aussitôt la tête en avant dans le récipient qui la maintient pour la pesée : 86 g. Nous faisons la grimace. Mais la tentation est bien forte d’équiper quand même cet unique oiseau.
Damien téléphone aux équipes qui sont parties dans toutes les directions : rien ici, rien là... Soudain, il s’écrie : «Ils en ont pris une !», puis un ton en dessous en apprenant la nouvelle : «C’est une sourde !».
Nous revenons à notre « maigrelette ». Kevin la tripote puis annonce : « Mais, elle a une patte cassée ! ». Effectivement, l’une des pattes a dû recevoir un grain d’acier et, si la blessure est parfaitement cicatrisée, il y a eu une rupture de l’os. Dès lors, les dés sont jetés. Puisque l’oiseau est dans une forme correcte, il est bagué à l’autre patte et rapidement relâché.
Je décide de rentrer à mon hôtel tandis que l’équipe venue de loin couche sur place. Je monte dans ma voiture, mets en route et règle le GPS. Je vais partir quand Yves cogne un bon coup à la vitre : « On en a une ! On en a une ! » Je coupe le moteur et fonce jusqu’à la maison, ma chienne sur les talons. À l’intérieur, c’est l’ébullition. Natacha saute de joie, elle avait décidé de faire un dernier tour et elle avait trouvé une bécassine prise. Et celle-ci pèse 116 g !
Alors commence une longue, mais délicate, manipulation. La bécassine est mesurée : bec, aile, tarse...
Elle est baguée : M80105. Puis vient le moment du positionnement du harnais qui passe autour des pattes et tient la balise en place sur le dos. C’est Kevin qui installe l’ensemble avec une grande délicatesse. Avec une minuscule bague métallique, il bloque l’élastique qui fait le tour des cuisses et traverse deux orifices dans la balise. Enfin, il coupe avec des ciseaux la partie qui dépasse.
Des centaines de photos sont prises par chacun et, enfin, vient le moment de relâcher notre bécassine. Je suggère que ce soit Natacha, mais elle tient à s’accrocher à son appareil photo. Finalement, c’est à moi qu’incombe ce privilège. Nous sortons tous dans le noir. Sur le conseil d’Yves, je la pose sur le sol et... elle ne part pas ! Nous attendons tous, le temps passe et rien. Yves m’explique une chose que j’ignorais totalement : il s’agit d’un comportement fréquent chez beaucoup de limicoles quand ils ont été manipulés (et dieu sait que celle-là l’a été !). Que ce soit par le stress ou la position, ils ont les pattes paralysées. Provisoirement, bien entendu. Nous restons là à attendre, un peu inquiet tout de même. Timidement, Yves s’accroupit et la pousse doucement. Rien n’y fait... et puis soudain, elle a dû recouvrer ses moyens et elle se décide à décoller. Nous l’entendons plus que nous la voyons. Après ces moments intenses, nous nous sentons un peu désœuvrés. Elle est partie, il n’y a plus qu’à lui souhaiter bonne chance et attendre qu’elle commence à émettre... dans neuf jours !
Je suis revenu le lendemain matin, nos amis étaient en train de retirer les filets. Pas le moindre oiseau à la passée. Yves avait décidé de lever le camp et de retourner à Nantes.
Dans deux semaines, c’est en Gironde que nous allons essayer d’en lâcher cinq autres, en espérant qu’il y aura assez d’oiseaux pour ce faire. Car si les bécassines avaient déserté l’Eure et toute la région à cause des pluies diluviennes qui avaient noyé les marais, nous sommes prévenus qu’en Gironde elles sont plutôt rares... à cause du manque d’eau ! Mais nous sommes quand même prêts à y aller, il en faudrait bien plus que cela pour nous arrêter !
Quelques jours plus tard cette première bécassine a émis. Elle était toujours là, à la Grand Mare, où on peut penser qu’elle a hiverné, et nous avons reçu trois localisations différentes. Et puis le silence, plus rien. On peut même s’imaginer qu’elle est morte. Jusqu’au jour où Natacha en passant aperçoit dans un groupe de bécassines un oiseau qui semble bien porter une antenne.
Quand les oiseaux sont partis elle revient discrètement et pose un piège photographique. Deux jours plus tard nous recevons sur nos ordinateurs et autres Smartphones, avec un petit coucou de Natacha, la photo d’une bécassine qui plonge fièrement son antenne dans l’eau ! Celle-ci n’émettra plus jamais ce qui n’empêche pas de lui souhaiter bonne chance !
Patrice Février
Crédit photos : Natacha Piffeteau, ST27 et CICB
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