Chasse à la bécassine en Guyane
Dans ce coin de France situé au nord du Brésil, trois espèces de bécassines cohabitent. D’une part, il y a « les petites » qui sont, soit la Bécassine de Wilson (Gallinago g. delicata) sous-espèce néarctique de notre bécassine des marais, que l’on trouve dans toute l’Amérique du Nord (USA – Canada), l’Amérique Centrale et qui est ici à l’extrémité sud de son aire d’hivernage ; soit la Bécassine du Paraguay (Gallinago g. paraguaiae), autre sous-espèce mais purement sud-américaine dont la limite nord est le Venezuela, le Surinam, et la Guyane française (où elle niche) et la limite sud le nord de l’Argentine.
Elles sont quasiment identiques ! Le seul critère de reconnaissance facile est la largeur de la rectrice externe : 7 mm pour delicata, 5 mm pour paraguaiae. Le 21 janvier 2006, j’ai tué une bécassine juvénile et le matin même mon épagneul breton Utah avait arrêté un poussin de bécassine vieux de quelques jours. Dans les deux cas il s’agissait de bécassine du Paraguay. La troisième espèce est une très grande bécassine endémique, mais visiblement plus rare et dont le nom est Bécassine géante (Gallinago undulata undulata).
En Guyane, il n’y a absolument aucune donnée sur les bécassines. Même les ouvrages spécialisés sur les limicoles restent muets et regrettent l’absence de toute information sur les oiselles, leurs moeurs et leurs déplacements.
C’est vrai qu’il serait intéressant de savoir pourquoi, tout au long de la saison humide, les effectifs sont si fluctuants. De 2 à 15 individus du jour au lendemain, puis à nouveau 3 le surlendemain. Ce serait intéressant aussi de connaître les conditions de reproduction des bécassines géantes. Mon chien trouve chaque année des nids de râles, mais jamais de nids de bécassines.
Il faut savoir que l’avifaune sud-américaine est loin d’être aussi bien connue que celle d’Amérique du Nord, d’Europe ou même d’Afrique.
Les zones d’hivernages ou de nidifications sont loin d’être précises.
Début novembre, la saison sèche fait fuir les Gallinago gallinago en durcissant les savanes. Seules les Bécassines géantes (Gallinago undulata), apparemment non migratrices, résistent à la chaleur. Mais, du fait de la fragilité des effectifs, je les chasse peu. Mon tableau de cette saison 2005-2006 : une trentaine de « petites » et cinq géantes.
Sans eau, point de bécassines ni de sarcelles. Seulement des ramiers, mais cette chasse est statique et ne nous satisfait pas. Quelques belles chasses au courlis tout de même, essentiellement depuis un canot le long des vasières et des mangroves en front de mer.
Ce qui est très dommage, c’est que les savanes littorales sont sacrifiées une par une, soit pour la construction de structures inutiles, mais consciencieusement ceintes (c’en est risible : un carré bien clôturé au beau milieu d’une savane marécageuse immense, avec deux rangée de cocotier dedans), soit pour de la riziculture dont l’expansion n’a d’égale que le gouffre financier qu’elle entraîne.En dehors d’être bécassinier, je suis chasseur au vol. Est-il besoin de dire que je rêve de joindre les deux et de faire lier par mon faucon une bécassine préalablement arrêtée par mon chien. Une chasse difficile, mais pas impossible, car elle est pratiquée ailleurs.
Pour terminer, voici une petite histoire de chasse qui se passe à la mi-septembre 2005.
« Ce dimanche matin, nous avions préféré la bécassine à la sarcelle. La veille, Utah et moi avions déjà prospecté la savane (avec appareil photo) pour vérifier que les bécassines n’avaient pas été chassées par la sécheresse. Cinq arrêts en 50 mètres et quelques photos à la clé. Nous devions revenir chasser. Ce matin, Utah est parti dans une série exceptionnelle d’arrêts. Une quinzaine, parfaits comme d’habitude. J’ai conclu deux fois seulement (pardon !), à l’aube, avant les grosses chaleurs de 7 h 30. Vers 8 heures, la chaleur provoque une grosse évaporation et la savane devient invivable. Le chien s’est mis à chercher comme une mécanique, ce qu’il fait dès que la passion prend le pas sur la raison et qu’il ne veut pas comprendre qu’il est tant de ralentir. Moi, je ralentis. J’attends le prochain arrêt. Une bécassine passe une zone inondée d’herbe haute et vient se poser devant moi. Sans doute a-t-elle fini par partir devant le chien que je ne suis même pas allé servir, ne le voyant pas depuis quelques minutes. J’appelle le chien, sans lequel finalement je ne suis rien et sans lequel je ne peux rien faire. Pas de réponse. Je m’énerve même. Qu’est-ce qui lui prend. S’il était à l’arrêt, il aurait dû revenir, du fait que la bécassine s’est envolée puisque je l’ai devant. S’est-il vautré dans un trou d’eau pour se refroidir ? Pour un moment d’accord, mais pas aussi longtemps. Avant d’aller chercher ce fugueur, je tente la bécassine, qui part évidemment d’un endroit inattendu et que je manque. Où est cette sale bête ? Il n’est même pas arrivé suite au coup de fusil, il se peut qu’il y ait un gros problème. Je passe la bande herbeuse. A la sortie, je vois mon Utah, à l’arrêt, en train de gober l’émanation. Je suis là, enfin ! Quel chasseur tu as mon pauvre chien ! Une bécassine géante explose dans son envol caractéristique et tombe au coup de feu. Le chien était resté à l’arrêt pendant tout ce temps, alors même que je hurlais après lui et que j’ai tiré un coup de fusil à moins de 15 m. Moralité : faites chasser vos chiens souvent. Il vous feront parfois des « coups » de génie. »
Vincent Ducrot (Cayenne)
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